Maison La Meulière

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Au XIXe siècle, les abords de Paris ne ressemblent en rien à l’agglomération tentaculaire d’aujourd’hui ! C’est une campagne souvent riante ponctuée de bourgs bordés de bois, forêts et rivières. En quête d’espace, de verdure et désireuse d’échapper au tumulte de la capitale, la bourgeoisie s’y fait construire villas, castels… au cœur d’un jardin arboré, en bord de Seine ou de forêt.

Style

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La meulière en tant que matériau n’est pas à proprement parler un style. Les architectes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont pioché dans tous les styles. Cependant, une « meulière » n’en serait pas une sans sa marquise et son petit escalier menant à l’entrée

LE NUANCIER DE LA MEULIÈRE

Côté Architecture

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Une histoire de meule à grains
Formée à l’ère tertiaire, il y a soixante-dix millions d’années, la meulière est une roche sédimentaire composée de silice, carbonate de chaux, d’alumine et d’oxyde de fer. Présente sous forme de bancs peu profonds dans le Bassin parisien, elle fut extraite pour fabriquer des meules à grains du XVe au début du XXe siècle, d’où son nom. Mais c’est à La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne), qu’elle connaît un âge d’or grâce à la spécificité de sa pierre gris-bleu et au savoir-faire de ses meuliers. En 1789, cette industrie rurale compte près de 3000 ouvriers – surnommés « les mains bleues » en raison de la coloration de leurs mains. Les 20000 meules produites annuellement étaient expédiées dans le monde entier!

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Quête d'évasion et de pittoresque

C’est le début d’une fièvre constructive qui voit l’édification de maisons de maître, demeures de style « manoir », villas Art nouveau… Décorative avec ses teintes ocrées (jaune, rouge-orangé), et sa surface criblée de creux, dure, résistante et inaltérable (à l’eau et au gel), cette roche caverneuse s’impose comme une bénédiction ! Même si son extraction par perforation et abattage à l’explosif s’avère contraignante… Entre 1880 et 1900, maints architectes l’utilisent en association avec la brique, la céramique, la fonte moulée… entre régionalisme (tourelle, jeu de toitures, fermes débordantes…) et Art nouveau (briques vernissées, faïence, marquise en fer forgé…).

La "Meulièromania"

Du Val-d’Oise (Sannois, Montmorency, Enghien), à la Seine-et-Marne (Meaux, Chelles, Ozoir-La-Ferrière), en passant par les Yvelines (Versailles, Le Chesnay, Saint-Germain, Marnes-la-Coquette), les Hauts-de-Seine (Sèvres, Colombes, Saint-Cloud) ou la Seine-Saint-Denis (Epinay-sur-Seine, Le Raincy, Montfermeil), c’est la « meulièromania » ! Avec les années 1930, la « meulière » se démocratise et n’est plus réservée aux seuls riches Parisiens. De nombreux pavillons à un ou deux étages, souvent dressés en pignon avec fermes débordantes, sont bâtis flanqués d’une aile en retour. Aujourd’hui encore, ces « belles meulières » marquent le style architectural résidentiel francilien.

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En quête de pittoresque, les architectes jouent sur la polychromie des matériaux des encadrements de fenêtres des façades, et un type de jointoiement appelé « rocaillage ».

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Polychromie de matériaux

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Architectes et constructeurs puisant leur inspiration dans la réinterprétation de l’architecture régionale, multiplient les volumes, favorisent les décrochements des toitures et prolongent les pignons par des fermes débordantes. En quête de pittoresque, ils jouent sur la polychromie des matériaux des encadrements de fenêtres des façades (briques vernissées, pierres de taille, céramiques), et un type de jointoiement appelé « rocaillage ». Il consiste à incruster de petits éclats de meulière aux tonalités ocrées dans la surface des joints afin d’offrir une belle continuité chromatique.

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Une pierre qui adhère

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Elle est mise en œuvre en « opus incertum » (pose irrégulière des moellons plus ou moins imbriqués selon un axe oblique), ou, plus rarement, en « opus reticulatum » (pose des parements aux faces équarries en rangs horizontaux à joints décalés). La pose se fait à « bain de mortier » c’est-à-dire sur une couche épaisse de mortier que le maçon fait refluer en frappant la pierre à l’aide d’une massette. Avec un triple but : renforcer son adhérence grâce à sa structure alvéolée, la mettre d’aplomb et réduire l’épaisseur du joint en raclant l’excédent de liant à la truelle. Les intersections des murs sont renforcées par des « chaînes d’angle » qui superposent une alternance perpendiculaire de pierres tantôt longues tantôt courtes.

Côté Rénovation

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La rénovation d’une maison en meulière est une mission très intéressante et accessible. Vous verrez qu’il sera surtout question de joints entre ces pierres si étranges. Il existe aussi des manières de les réparer avec des meulières de parement.

1 - L'ornementation

Marquise : mise à nu conseillée…
Auvent vitré placé en porte-à-faux au-dessus de la porte, la marquise est typique de l’entrée des belles « meulières ». En fer forgé (pour les plus anciennes), ou en fers en T, supportées par des consoles à volutes (pour les pavillons des années 1930-1950) ces structures en demi-cercle méritent d’être conservées et rénovées. Un décapage (mécanique ou thermique), permet d’éliminer la peinture écaillée et la rouille. Une mise à nu est idéale pour appliquer une sous-couche puis une peinture décorative anticorrosion « spécial fer ». L’occasion aussi de déposer le vieux vitrage pour le remplacer par des verres armés capables de supporter des chocs sans se briser (grêle, chute de tuiles ou de branches…). Placés dans les feuillures des fers en T, ils peuvent être fixés à l’aide d’un mastic-colle.

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Difficile à mettre en œuvre en raison de sa forme irrégulière, la meulière était rocaillée aussi pour consolider ses joints par l’inclusion de petits éclats de pierre.

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2 - Les murs

Les joints : l’art de l’ornementation…
Typique des maisons bourgeoises franciliennes, le rocaillage est une technique décorative de jointoiement – à la chaux ou plâtre et chaux – dans lequel sont insérés des fragments de roche rosés ou bruns sombres. On distingue divers types de rocaillages, qui vont du simple remplissage des joints avec des éclats de meulière orangée, jaunâtre ou rougeâtre, au garnissage complet avec des fragments de meulière, éclats de silex, calcaire, mâchefer voire des meulières « mises à feu » pour accroître l’intensité de leurs teintes. Appelés rocailleurs, les maçons jouaient des couleurs et des textures pour formuler des mortiers teintés dans la masse avec des sables colorés, de la brique pilée (chamotte), des tuiles broyées, du charbon de bois, voire des terres naturelles (terre de Sienne ou d’ombre), qui leur donnaient un camaïeu de nuances ocrées proche de celles de la meulière.

…et de la stabilisation :
L’origine du rocaillage ne saurait être réduite à cette seule quête décorative. Difficile à mettre en œuvre en raison de sa forme irrégulière, la meulière était rocaillée aussi pour consolider ses joints par l’inclusion de petits éclats de pierre qui « armaient » le mortier tout en enjolivant la piètre qualité esthétique des moellons. C’est pourquoi, ce parement d’une très grande solidité se retrouve parfois sur les soubassements des maisons. Souvent, le rocaillage est complété par un jeu de bandeaux, corniches et chaînes d’angle en saillie réalisés en plâtre ou en briques. On trouve aussi des linteaux en brique et métal, des médaillons en céramique.

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3 - S'agrandir ?

Poussez les murs mais pas trop…
L’extension d’une « meulière » doit être conçue en harmonie avec sa volumétrie afin de créer un ensemble cohérent qui ne dépareille pas avec l’existant. Elle peut être implantée en continuité du volume, en retour (perpendiculaire), voire en contrebas de la façade arrière si le terrain offre un dénivelé et peut être décaissé. Sans oublier l’orientation souhaitée ! Le bâtiment peut être réalisé avec des matériaux actuels (parpaings avec doublage isolant intérieur, blocs de pierre ponce, béton cellulaire, briques mono-mur…), habillés en façade de parements de meulière de récupération. Si cette option mixte s’avère trop contraignante à exécuter, prenez le parti de vous démarquer de l’existant avec une extension en ossature bois, voire une véranda extérieurement en acier dans le style (avec soubassement en meulière), et intérieurement contemporaine avec des profilés très fins aux lignes épurées. Un certain nombre de meulières offre un rez-de-chaussée surélevé avec un perron d’accès. Dans ce cas, vous pouvez opter pour une extension en souplex en intégrant le sous-sol et en ouvrant le plancher.

Côté Culture

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Histoire et géographie

Mis à la mode par la bourgeoisie parisienne à la fin du XIXe siècle, le pavillon en meulière connaît son apogée dans les années 1930 et se démocratise au point de gagner tous les abords de Paris. La « meulière » est présente aujourd’hui dans les départements du Val-d’Oise, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Yvelines et autres Seine-et-Marne.

Les ravages du temps

Te Technique

Un savoir-faire qui a vécu

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Aujourd’hui, le déclin de cet artisanat rend difficile la mise en œuvre d’un rocaillage sur une construction neuve (type extension). Quand il s’agit de réparations ponctuelles ou à l’occasion du percement d’une baie par exemple, le maître d’œuvre peut recourir à un artisan maçon du patrimoine pour consolider ou remplacer ces inclusions d’éclats de pierres le plus fidèlement possible. Hélas, abîmés par les intempéries, ces joints décoratifs sont souvent piquetés pour laisser place à un jointoiement en ciment gris qui dénature les façades par son aspect froid et rigide.