La bauge d’Ille-et-Vilaine

C’est le pays où l’on construisait écolo avant l’heure. On bâtissait en bauge, en terre crue, châteaux ou fermes. Surtout ne changeons rien !

Styles

a gauche

Voir l'image en grand

Cœur excentré et ancienne marche de Bretagne, ce département entre terre et mer livre une architecture des plus variées où tous les matériaux (ou presque) sont mis à l’honneur. Demeures à pans de bois, fermes et châteaux en terre crue, manoirs de granit, maison « bloc-à-terre », manoirs de schiste, villas balnéaires Belle Époque…

LE NUANCIER DE LA BAUGE
Voir l'image en grand

Côté Architecture

a gauche

Quête d’évasion et de pittoresque

Voir l'image en grand

Cette porte de la Bretagne abrite quatre « pays » à l’identité affirmée : les marches de Bretagne (Vitré et Fougères, puissantes places fortes médiévales), le pays de Saint-Malo et Dinard (semé de villas néo-gothiques, anglo-normandes, manoirs néo-bretons ou de style Tudor…), le pays de Vilaine et Redon (ponctué de bocage, vallons boisés, prairies, landes de bruyère, marais ourlés de roselières…), et le pays de Rennes (ancienne ville parlementaire, ville d’art et d’histoire avec son quartier animé de la cathédrale, ses demeures à colombages, ses hôtels particuliers).

Du château à la ferme : un seul et unique matériau

Dans un rayon de 30 km autour de Rennes, la médiocrité de la pierre d’œuvre et l’abondance de la terre argileuse sont à l’origine d’un art de bâtir des plus remarquables. Appelée « bauge », cette technique consiste à construire exclusivement en terre crue non coffrée tout type de mur, façade, pignon… Loin d’être cantonné à l’habitat agricole (longère, ferme…), ce matériau longtemps décrié car perçu comme synonyme de pauvreté, est à l’origine de maints édifices nobles : manoirs, maisons de maître, presbytères… Au XIXe siècle, les évolutions techniques permettent même de bâtir des bourgs et faubourgs « tout en terre » autour de Rennes. Pour « urbaniser » les façades des maisons, on applique un enduit puis un badigeon décoré d’appareillages, bandeaux et chaînes d’angle en trompe-l’œil.

a gauche

Appelée « bauge », la technique utilisée en Ille-et-Vilaine consiste à construire exclusivement en terre crue non coffrée tout type de mur, façade, pignon…

a gauche

Savoir-faire partagés

Le chantier débutait à la fin de l’hiver pour s’achever au début de l’été avant l’arrivée des grosses chaleurs. Il exigeait une importante main-d’œuvre (qui réunissait la famille, les fermiers voisins…), encadrée par un maçon pour extraire la terre mêlée de cailloux, collecter l’eau pour l’humidifier, l’émietter en mottes, incorporer des fibres végétales (genêt, bruyère, paille de blé, d’avoine…), puis la fouler aux pieds. Souvent prélevée lors du creusement des fondations ou d’une mare, la terre était dressée à la fourche par « levées » successives (60 à 80 cm de haut et de large). Avant, il fallait construire un soubassement de pierres (schiste, granit) pour isoler la bauge de l’humidité du sol. L’élévation s’effectuait en plusieurs temps pour laisser chaque portion de terre durcir. Les murs bâtis sans aucun coffrage, étaient compactés par le maçon puis dressés d’aplomb avec une bêche à bord tranchant (« paroir »), pour leur donner un parement. On pouvait alors monter une seconde levée de terre. Ainsi, leur nombre détermine la hauteur de l’ouvrage : six pour un logis de plain-pied, douze pour une maison de maître à deux niveaux.

Bioclimatique avant l’heure

Délaissée depuis les années 1950 (modernisation de l’agriculture, essor des matériaux industriels), la construction en bauge retrouve les faveurs d’un public (artisans, architectes, associations de patrimoine), sensible à ce bâti écologique avant l’heure. Abondant, renouvelable, non énergivore à produire, ce matériau séculaire offre une excellente inertie thermique. Rectiligne et sans décroché, l’épaisse façade principale orientée sud accumule la chaleur du soleil d’hiver pour la restituer le soir. À l’inverse, l’été, la maison reste fraîche, les murs n’étant pas saturés d’air chaud. Sans oublier sa capacité hygrométrique à stocker et réguler l’humidité, d’autant plus forte que les murs sont épais. Aveugles, le plus souvent, les pignons supportent les conduits de cheminées en briques. La façade arrière (au nord) compte peu d’ouvertures mais est souvent flanquée d’une dépendance ou d’un appentis qui la protège des intempéries. Dans les fermes, les lucarnes gerbières permettaient de monter le foin au grenier contribuant ainsi à l’isolation thermique.

Côté Rénovation

a gauche

1. Eco-restauration de rigueur

Solide comme du béton… maigre
Fissure de poinçonnement, creux, alvéoles ou ventre, désolidarisation de portions de murs… Les désordres structurels de la bauge sont d’autant plus fréquents que ces constructions des XVIe-XIXe siècle sont moins entretenues et que la « rurbanisation » des campagnes modifie l’environnement des maisons (routes goudronnées, passage de camions). Ainsi le ruissellement de l’eau (couverture percée, gouttières bouchées ou mal raccordées), la surcharge des planchers, le fléchissement de pièces de charpente… entraînent un phénomène d’érosion qui réduit d’année en année l’épaisseur des murs tandis que le tassement des sols ne permet plus l’infiltration des eaux de pluie. Enfin, s’ajoute parfois la présence de sels minéraux (véhiculés par des remontées capillaires) dont raffolent les oiseaux et rongeurs et qui, à force de creuser la base des murs à coups de bec, finissent par y trouver le gîte et le couvert ! À défaut de pouvoir déplacer la voirie, il est possible de remédier à l’absence d’entretien (réfection de la couverture, étaiement de la charpente, piquage des « plaques » de ciment, enlèvement du lierre, de la vigne vierge…).

Réparer les désordres
Les fissures aux angles des murs peuvent être stabilisées par la pose de platines de répartition en bois encastrées sous les poutres incriminées (après étaiement), afin de répartir la charge sur une surface plus importante avant de mettre en œuvre une nouvelle portion de bauge. De même, les creux et trous seront rebouchés avec de la bauge compactée (à préparer soi-même), tandis que les brèches éventuelles seront refermées en coffrant la terre à l’aide de banches (ou de planches), voire avec des briques de terre crue liées au mortier de chaux pour une plus grande rapidité de pose et de séchage. La stabilisation de l’écartement éventuel des façades s’effectue en posant des tirants placés au niveau des entraits des fermes ou mieux des poutres du plancher du comble reliées de part et d’autre par des fers d’ancrage. Ci-dessus : une réalisation de l’architecte Florence Lerouxel.

a gauche

Perméable à la vapeur d’eau, l’enduit à la chaux laisse l’humidité migrer à travers les murs extérieurs sans créer de barrage.

a gauche

2. Evacuer l'eau

Le drainage périphérique
Lorsque l’eau s’écoule sur un terrain en pente au sol devenu plus ou moins imperméable, la création d’un drainage s’impose pour empêcher l’eau de stagner au bas des fondations. Après creusement d’une tranchée (distante d’au moins un mètre des façades) que l’on recouvre d’un géotextile, on pose un drain (terre cuite, PVC… percé de fentes transversales canalisant les eaux), que l’on remblaie de plusieurs couches de concassés de granulométrie décroissante pour que les particules les plus fines ne soient pas entraînées vers le drain. Attention à la pente donnée au drain : des eaux récoltées doivent pouvoir s’évacuer en contrebas du terrain.

3. Protection des façades

Finitions : belles et protectrices
Bien que compactée, la surface de ce « béton » reste sensible à l’eau. D’autant que l’entretien régulier jadis effectué par les journaliers est révolu. Aussi l’application d’un enduit à la chaux est-elle vivement conseillée. Perméable à la vapeur d’eau, il laisse l’humidité migrer à travers les murs extérieurs sans créer de barrage. Si un grillage d’accroche est nécessaire, on préférera un filet végétal (toile de lin, de jute), ou de fibre de verre marouflé dans le dégrossi. En finition, une couche de chaux aérienne, sable fin et terre argileuse tamisée de teinte locale (ocre jaune, terre de Sienne ou d’Ombre, grège…) assurera une bonne protection. Sous réserve de bien s’intégrer à l’environnement, un bardage bois est envisageable.

4. Les menuiseries

Bien cadrer les ouvertures
Traditionnellement, les ouvertures (portes et fenêtres) sont structurées par des cadres de chêne chevillés placés au nu (intérieur et extérieur) des façades. Ces « carrés doubles » sont formés chacun de deux poteaux et deux poutres (un linteau et un appui de sol ou de fenêtre droit ou mouluré), reliés par des entretoises. Astucieuses, ces « clefs » étaient réglées suivant l’épaisseur du mur. Les maisons plus cossues présentent des encadrements en pierres de taille. Ils s’inscrivent souvent dans une façade dont le rez-de-chaussée est maçonné pour en supporter la charge. Après 1850, les encadrements en brique se généralisent. Différents modes de construction à respecter en cas de rénovation ou de création de baie.

Côté Culture

a gauche

Histoire et géographie

Voici le seul pays breton tenant son nom de deux cours d’eau qui s’unissent à Rennes : la Vilaine (fleuve de 225 km) et son principal affluent l’Ille. Cette appellation liée au réseau hydrographique contraste avec le Morbihan (« petite mer »), le Finistère (« fin de terre ») et les Côtes-d’Armor. Prairies, bocages, cultures fourragères traduisent sa ruralité tandis que villes d’art et d’histoire, châteaux et malouinières témoignent d’un fort urbanisme médiéval comme d’une volonté de conquête !