Lagunes où s’unissent eaux douces et salées, étangs peuplés de flamants roses, gardians chevauchant la lande à la poursuite des taureaux, Arlésiennes coiffées de dentelle, flamenco aux accents andalous… Né de la confrontation du Rhône et de la Méditerranée, ce delta façonné par l’homme abrite aussi bien une mosaïque de milieux qu’une riche culture.
Styles
Un seul style en Camargue, le mas, mais décliné en bergeries, en cabane de gardian. Le bois et le roseau sont les matériaux privilégiés.
le nuancier de la camargue
Côté Architecture
Le mas de Camargue, cœur de la vie sociale
Lié au milieu naturel et aux activités humaines, l’habitat type est le mas isolé au milieu de ses terres. On distingue le mas « bloc-à-terre », une ferme composée de bâtiments ajoutés au fil des générations dans la continuité de l’habitation. Rectangulaire à un étage, il délimite les fonctions d’habitation et d’exploitation. D’un côté se trouve la pièce de vie avec cheminée et garde-manger tandis que les chambres prennent place à l’étage. De l’autre, se trouve la bergerie ou l’écurie surmontée d’un fenil. Dans le prolongement, s’alignent remise, grange, cellier... Chaque corps de bâtiment étant mitoyen, leurs toitures sont légèrement décalées en hauteur pour faciliter leur mise en œuvre. Plus évolué, le mas à «annexes séparées» dissocie les fonctions d’habitation et d’exploitation sur une plus vaste parcelle. Les dépendances (étable, écurie, cellier, soue...), sont dispersées autour de la maison du maître. Nombre de mas sont pourvus d’une tour de plan carré, le pigeonnier. Il offrait une source de revenus grâce à la chair et aux œufs des pigeons qui figuraient sur la table tandis que les fientes amendaient les sols.
Toute végétale à l’origine, la cabane du gardian est l’un des habitats les plus anciens de la région comme le suggère la découverte de cabanes médiévales similaires lors de fouilles en 1987.
Les bergeries
Jusqu’aux travaux d’endiguement du Rhône, l’élevage ovin était très pratiqué en Camargue. Elevés essentiellement pour la laine, les moutons séjournaient d’octobre à mai avant la transhumance du printemps qui les menait vers les alpages du Vercors. Les bergeries « en dur » n’apparaissent qu’à partir du XVIIIe siècle en raison du coût nécessaire à leur édification. Auparavant, les moutons vivaient dans des parcs formés de claies de bois (les « tavelles »), recouvertes de roseaux des marais. Elles se présentent sous forme de grande nef pouvant atteindre cinquante mètres de long pour quinze de large. A l’image des cabanes de berger, elles dessinent un plan rectangulaire traité en arrondi à l’extrémité nord. Les murs en moellons sont couvert d’une charpente à pente raide (45°), coiffée de sagne des marais (roseaux), qui paraît descendre jusqu’à terre.
La Cabane, de la nécessité... au Folklore touristique
La cabane de gardian est une bâtisse rectangulaire de plain-pied orientée nord-ouest/sud-est coiffée d’un toit pentu couvert de « sagne » (roseaux des marais). Son mur arrière circulaire pour offrir le moins de prise possible au mistral est une particularité. La pièce commune (souvent dotée d’une cheminée), prend place derrière l’entrée percée dans le pignon avant. En l’absence de pierre d’œuvre dans le delta, ces cabanes étaient bâties avec les matériaux locaux : une structure en poteaux et branches (orme, saule, roseaux…), recouverte de torchis (terre argileuse mêlée de paille). Pièce maîtresse de l’ouvrage, la charpente est formée d’une poutre faîtière qui repose à l’avant sur le haut du pignon et à l’arrière sur un poteau (appelé « travette »), dressé dans l’axe de l’abside. Elle était recouverte d’une trame de branches (saule ou frêne), sur lesquelles le couvreur fixait les gerbes de roseaux scellées au niveau du faîtage pour résister aux vents. A l’arrière, une croix inclinée se dresse au-dessus de la couverture. Il s’agit en fait de l’extrémité de la « travette » barrée d’une pièce de bois transversale. Tout végétal à l’origine, cet habitat est l’un des plus anciens de la région comme le suggère la découverte de cabanes médiévales similaires lors de fouilles en 1987. Aussi, avant d’être assimilées à l’habitat traditionnel du gardian (à partir du XIXe siècle), elles servaient d’habitat souvent temporaire pour les bergers, pêcheurs, saliniers, vaniers… Depuis les années 1990, la cabane se métamorphose en restaurant, chambres d’hôtel climatisées, gîtes, boutiques… L’humble masure fait désormais figure de résidence chic.
Côté Culture
Histoire et géographie
La Camargue est en même temps une terre rejetée et une terre d’accueil. Ce n’est que récemment (depuis une centaine d’années) que la mer est objet de désir, auparavant elle faisait peur et la côte était le domaine des pauvres et des marginaux. La Camargue, partagée entre l’eau douce du delta et l’eau salée de la mer était leur royaume. La Camargue fait pourtant l’objet de plusieurs tentatives de développement. Ainsi, Henri IV fait de la région une terre agricole portant riz, garance et canne à sucre. Cette première expérience est abandonnée au profit des cultures coloniales. La riziculture est relancée à partir de 1942 et surtout après la guerre grâce au plan Marshall. Aujourd’hui, environ 20 000 hectares sont consacrés à la production de riz.
Fille du Fleuve et de la mer
Logée à l’embouchure du Rhône, la Camargue prend place entre ses deux bras : le grand Rhône et le petit Rhône. Ainsi délimitée, elle forme une large plaine triangulaire dont la pointe se tourne vers Arles au nord, et la base plonge vers la Méditerranée au sud. Né des flux et reflux du Rhône et de la mer lors de la fonte des glaciers, ce delta abrite une mosaïque de milieux où alternent étangs, lagunes, « sansouires » (terres basses salées, mi-humides, mi-arides), roselières, salines, dunes… Ouvert sur la Méditerranée, il offre une halte migratoire à près de 350 espèces d’oiseaux, échassiers et palmipèdes qui viennent y nicher et s’y reproduire. Goélands argentés, sternes, oies, spatules, aigrettes, hérons… Symbole de la Camargue, les flamants roses vivent en colonie dans les étangs où ils se nourrissent de plancton grâce à leur bec courbé et filtrant. Vols au soleil couchant et parades nuptiales offrent un spectacle majestueux !
Sauvage mais façonnée par l’homme
Pour naturelle qu’elle puisse paraître, la Camargue d’aujourd’hui résulte d’un long travail d’aménagement. Défrichements, création de pâtures… sont réalisés au Moyen Age par les moines cisterciens et bénédictins. Aux XVIIIe et XIXe siècles, cette lagune mouvante (inondée l’hiver, desséchée l’été), bénéficie d’aménagements hydrauliques (levées de terre et cordons de digues), pour contenir les crues dévastatrices du Rhône. Des canaux de drainage (longs de 400 km et rythmés de stations de pompage) sont creusés pour assainir et irriguer les sols. On pratique la viticulture irriguée (la seule qui résistera au phylloxéra), la riziculture, la culture de blé, seigle, plantes fourragères… Activité traditionnelle depuis cinq siècles, l’élevage de chevaux et de taureaux contribue à l’équilibre écologique et à l’économie locale, confortée par le tourisme.
L’élevage extensif est l’une des rares activités adaptées à cette plaine marécageuse.
Gardians, chevaux et taureaux
Des gardians qui traversent à bride abattue landes et étangs pour rassembler les taureaux : image de carte postale ou réalité économique ? Jusqu’au XIXe siècle, le delta est un pays isolé et peu considéré. L’élevage extensif est l’une des rares activités adaptées à cette plaine marécageuse. Mais, les chevaux sont moins utilisés pour la monte que pour les travaux des champs et l’attelage. De même, les taureaux sont domestiqués pour tirer les charrues ou vendus pour leur viande. Issu d’une famille noble florentine installée à Aix-en-Provence, Folco de Baroncelli (1869-1943), est l’un des grands ambassadeurs de la Camargue traditionnelle. En 1899, pris de passion pour cette terre, il y loue un mas, devient gardian et crée sa « manade » (troupeau et domaine). Sa motivation ? Préserver la race de taureaux camarguais mise en péril par les croisements avec des taureaux de combat espagnols. En 1909, il fonde « Lou Nacioun Gardiano » (la Nation gardiane), pour réhabiliter le métier de gardian, codifier le costume traditionnel puis officialiser le pèlerinage des gitans. Etrange destinée que celle de cet aristocrate qui vécut modestement pour défendre la Camargue !
Ferrades et jeux taurins
Dans les prés, les « manades » (20 à 100 taureaux), étaient surveillées par les gardians armés d’un trident pour les rabattre. Bien adapté pour parcourir les terres marécageuses, le cheval de Camargue est de petite taille (1,35 à 1,45 m au garrot), mais doté de membres robustes aux appuis larges. Vif, mobile et résistant, c’est le compagnon du manadier qui surveille, regroupe, trie les taureaux, les capture pour les « ferrades » et les escorte lors des changements de pâture… Le taureau (« Lou Biou » en provençal), est aussi de taille modeste. Noir ou brun foncé, ce bovin rustique dégage une impression de finesse avec son cou allongé et ses cornes en forme de lyre. Pratiquées à présent devant les touristes, les « ferrades » voient le marquage au fer rouge des jeunes taureaux de l’emblème de leur manadier. Les plus combatifs deviendront des « cocardiers », ces taureaux sélectionnés pour participer aux courses camarguaises. Le but de l’épreuve est de décrocher une cocarde placée entre leurs cornes à l’aide d’un « razet ». Ici point de mise à mort. Seuls l’art de l’esquive, l’agilité et la rapidité des « razeteurs » sont de mise pour déjouer ses charges !