Maisons Savoyardes

D’Annecy, la « Venise savoyarde », aux cimes enneigées du massif des Aravis, des rives du lac Léman aux pâturages du val d’Abondance, des sommets de la Maurienne à la verte vallée du Beaufortain, les deux Savoie recèlent une nature puissante à l’origine d’un agropastoralisme où les maisons tiennent d’une ingénieuse « ferme-outils », écologique avant l’heure ! Diversifiée suivant les matériaux locaux, le climat, la topographie, et l’identité culturelle, la ferme-outils rappelle que des générations se sont succédées, se transmettant leur savoir-faire pour assurer la pérennité d’un habitat marqué d’une opiniâtre volonté d’adaptation.

Styles

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La neige façonne l’architecture bien plus sûrement que l’imagination des bâtisseurs. Celle du ciel impose la forme des toits et leur conception. Celle au sol détermine le plan du bâtiment, ses accès. Le froid complète le tableau, avec le chauffage animal et l’isolation végétale.

le nuancier des savoyardes
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Côté Architecture

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Vallée de Thônes, belles réserves sous la pointe d’âne

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La grange prend place sous la large toiture à deux pans. Elle surplombe toute la surface habitable grâce aux murs latéraux surélevés. Le foin tombait directement dans les mangeoires grâce à des trappes et un conduit en planche traversant la maison de bas en haut. Dans les Aravis, la charpente recèle une singularité : elle repose sur un poteau central appelé « pointe d’âne ». Dressé sur l’un des murs de refend en maçonnerie du sous-sol, ce poteau traverse la maison sur toute sa hauteur pour supporter ses deux fermes appelées « bras d’âne ». Ainsi conçue, cette charpente ne nécessitait pas d’entraits (voir schéma), offrant une libre circulation dans tout le fenil. Robuste, elle pouvait supporter le poids de la neige (jusqu’à 600 kg/m2). Protégée par l’avancée du toit, une galerie à claire-voie (le « solaret », arrêt du « sol », soleil), la ceinture pour permettre le séchage des fourrages.

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Rare en haute altitude, le bois est réservé aux seules charpentes et menuiseries.

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Chalet beaufortin bien intégré à sa pente

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Pentes montagneuses, matériaux de construction et activités agricoles expliquent la spécificité du bâti qui épouse la déclivité du sol et mêle pierre et bois. Trapu et dressé en pignon, il présente un faîtage souvent parallèle à la pente. Une implantation qui favorise la création de niveaux de plain-pied : une large porte en amont qui dessert la grange pour le stockage du foin tandis que des ouvertures en aval donnent accès à l’étable et à l’habitation. À deux pans, la toiture déborde largement pour abriter les entrées et galeries qui courent le long des murs latéraux. Elle était jadis couverte de tavaillons ou d’ancelles, planchettes d’épicéa refendues simplement calées par des pierres. Contraintes d’entretien, irruption des matériaux modernes et coûts prohibitifs des assurances, ont entraîné leur disparition au profit du bac acier, du bardeau canadien ou de la tuile. Malgré cela, d’anciennes fermes font l’objet de belles réhabilitation et trouvent une seconde vie en habitation principale ou secondaire.

Tarentaise, hommes et bêtes au même rang

Haute et massive, coiffée de lauzes de schiste, la maison présente d’épais murs maçonnés en pierres irrégulières arrachées aux pentes montagneuses par les éboulis. Aussi les murs étaient-ils protégés de l’humidité par un enduit à base de plâtre très résistant de teinte rosée. Rare en haute altitude, le bois est réservé aux seules charpentes et menuiseries. Les rares balcons sont plus souvent ceinturés de garde-corps en fer forgé que de palines chantournées. Cette pénurie de bois explique pourquoi les hommes logeaient au rez-de-chaussée (en partie semi-enterré), avec leurs bêtes pour profiter de leur chaleur. Enduite à la chaux, cette salle commune est couronnée de voûtes en berceau au-dessus desquelles le volume du comble abrite le fenil. En descendant la vallée, les forêts sont plus présentes et le bois plus fréquent dans la construction. Parfois s’observent des maisons dites « à colonnes » parce qu’elles dressent des piliers qui soutiennent l’avancée du toit abritant ainsi l’entrée, une cour ou une galerie.

Maurienne, sobre et austère bâti

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Coiffées d’épaisses lauzes de calcaire, les façades s’élèvent en pierre sur toute leur hauteur, le bois (mélèze, épicéa), n’étant employé que pour la charpente et les linteaux. Pour faire face aux contraintes climatiques, les hommes ont conçu leurs maisons basses, partiellement enterrées et sans débord de toiture. Compactes et minérales, elles se fondent dans le paysage. Les maçonneries formées de deux parements de pierres sont confortées et protégées par un enduit à la chaux. Les granges en pierre sèche profitent d’une ventilation naturelle. Moins sujette à la pénurie de bois, la moyenne Maurienne montre des rez-de-chaussée en pierre parfois surmontés d’étages en bois ceinturés de galeries. Certains hameaux et bourgs présentent des spécificités notables : toits très pentus car jadis couverts de chaume, pignons de grange en aulnes tressés, garde-corps colorés…

Côté Rénovation

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L’essor du tourisme et une certaine idée du style « montagnard » ont mis à mal nombre de maisons d’origine, réhabilitées façon « rustique et jacuzzi en pierre de pays », lorsqu’elles n’ont pas été tout simplement rasées afin d’en recycler les matériaux pour des hôtels ou des restaurants.

1. Rénover ?

Faire revivre une maison de montagne
Relief, géologie, altitude, climat… ont imposé des types d’habitat variés. Aussi, commencez par observer leurs traits de caractère, moins pour des raisons esthétiques, que parce qu’ils reflètent l’intégration à un lieu (vallée, plateau, alpage), l’exploitation de matériaux locaux (pierre, bois), et la nécessité de satisfaire les besoins existentiels de longs mois durant (transformation du lait en fromage, stockage des fourrages). Aussi, faut-il comprendre les procédés constructifs (matériaux, composition des façades, charpente) pour rénover le bâti avec cohérence, tirer parti des éléments d’architecture (volume d’une cave voûtée ou du fenil, galeries, cheminée), accepter l’absence de régularité géométrique (faux aplombs, fenêtres de dimensions variées). Pour autant, rien n’interdit de créer des ouvertures. Mais inspirez-vous de la composition de la façade, respectez la simplicité des formes d’origine, rénovez fidèlement les revêtements (enduits, décors peints, bardages). Ce sont les détails façonnés par la main de l’artisan qui font la richesse des maisons savoyardes.

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Avant de débuter la rénovation, commencez par observer les traits de caractère de la maison, moins pour des raisons esthétiques, que parce qu’ils reflètent l’intégration à un lieu.

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2. La charpente

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Réparer ou remplacer : soyez ferme !
Parce qu’elle peut déséquilibrer la charpente, le changement ou la consolidation d’une pièce d’une ferme nécessite un savoir-faire rigoureux. La méthode consiste à travailler en sous-œuvre après avoir retiré quelques chevrons de part et d’autre de la pièce de l’arbalétrier à remplacer. À l’opposé, on fixe une pièce moisée, reliant le poinçon à l’autre pièce de l’arbalétrier pour trianguler l’ensemble. On décheville alors les mortaises de la contrefiche, de l’échantignole, du haut et de la base de l’ouvrage. Reste à soulever légèrement les pannes à l’aide de vérins pour dégager la pièce abîmée en s’aidant d’un treuil manuel ou électrique. Si seule l’une des extrémités est endommagée, on triangule la pièce de charpente par moisement afin de pouvoir la scier en toute sécurité. Refaite à l’identique dans la même essence, la greffe est assemblée à la base de l’arbalétrier grâce à une « enture à bois debout ». Autre intervention possible, le remplacement d’un entrait. Après avoir solidarisé la ferme à l’aide de madriers moisés, on soulage l’entrait pour décheviller ses extrémités. On descelle alors quelques pierres dans la maçonnerie pour les libérer avant de déposer avec prudence l’entrait. Hissée à l’aide d’un palan ou d’un treuil, la nouvelle poutre est repositionnée dans la maçonnerie et réassemblée par tenons et mortaises.

3. L'isolation du toit

adobe stock
Isolation en fibres de bois par l'extérieur

L’isolation vue de l’extérieur
Lorsque la charpente est en bon état ou qu’il ne faut changer que quelques chevrons, l’isolation par l’extérieur (ou sarking), offre des avantages : performance thermique continue, charpente apparente, préservation du volume habitable, chantier propre sans travaux dans la maison… Après dépose de la couverture, la mise en œuvre consiste à poser un platelage sur les chevrons existants. Son rôle ? Former un plancher continu pour le futur contre-chevronnage intégrant l’isolant et offrir au comble un parement visible en sous-face. À la fois porteur et décoratif, il doit être choisi avec circonspection. Idéalement, des planches d’épicéa ou de mélèze, rainées et bouvetées, issues de vieux bois de récupération (poutres ou madriers refendus) offrent de belles patines (gris clair, miel, acajou…). Autre possibilité plus économique, des voliges ou des planches de sapin rabotées et brossées (mais pas de plaques de plâtre). Après avoir posé et fixé un pare-vapeur, deux couches croisées de panneaux isolants haute densité sont simplement posées sur ce platelage. Un pare-pluie rigide en fibre de bois haute densité, rainé et bouveté, recouvre l’isolant. Le clouage des contre-chevrons à travers ce plancher s’effectue après un relevé précis de l’emplacement des chevrons d’origine. Enfin, un voligeage à claire-voie est fixé sur des contre-lattes (clouées parallèlement aux contre-chevrons). Il offre ainsi un support solide et bien ventilé pour la couverture.

Une coiffe saine et isolante
Des siècles durant, les tuiles de bois refendu ont protégé les maisons savoyardes avant d’être supplantées par la tôle, le bardeau bitumé ou la tuile mécanique. Tavaillons, ancelles, essendoles… leurs noms varient comme leurs dimensions d’une région à l’autre. Larges de 10 à 14 cm pour 35 à 45 cm de long (15 à 20 mm d’épaisseur), les tavaillons sont fréquents sur les chalets d’alpage. Clouées sur des voliges, ces planchettes d’épicéa ou de mélèze ont, certes, une durée de vie plus courte que l’ardoise (30 à 70 ans contre 80 à 100 ans), mais offrent de meilleures performances thermiques. À épaisseur égale, elles sont dix fois plus isolantes que la tuile et vingt fois plus que l’ardoise. Posées en triple recouvrement vertical et latéral, elles forment une épaisseur de près de 6 cm car la partie visible (ou pureau) de chaque tuile ne représente qu’un tiers de sa surface totale. Délaissés, ces bardeaux reviennent à la mode grâce à la convergence de plusieurs facteurs : coût élevé de l’ardoise, engouement pour le bois, développement durable… Architectes, particuliers et collectivités encouragent ainsi son utilisation sur les constructions contemporaines.

Côté Culture

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Histoire et géographie

L’histoire de la colonisation par l’homme de ces reliefs sauvages est déterminée par la configuration de leurs vallées et de la présence, ou non, d’un col en sommet permettant de franchir l’obstacle. Ainsi, les vallées ouvertes aux routes commerciales ont connu très tôt une certaine prospérité grâce aux péages et à l’hébergement des colporteurs. Alors que les vallées voisines ne survivaient que grâce à une agriculture difficile.

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Véritable « boîte à outils»

Aux confins de l’Italie et de la Suisse, la Haute-Savoie satisfait tous les amoureux de la nature. Été comme hiver, ils en goûtent les joies et les délices, entre lacs de montagne, forêts, réserves naturelles, stations thermales Belle Époque et un domaine skiable parmi les plus grands du monde. Toutefois, avant de devenir ce havre de loisirs, les Alpes comptèrent parmi les terres les plus rudes. Confrontés aux rigueurs du climat, aux obstacles du relief, à la rareté de sols fertiles, les hommes ont dû redoubler d’efforts et d’ingéniosité pour apprivoiser et exploiter les différentes strates du relief : l’étage des vallées et collines qui accueille prés de fauche, champs, bois de chênes ou hêtres (jusqu’à 800 m), l’étage montagnard domaine des conifères (de 800 à 1 500 m), l’étage subalpin qui, avec ses pelouses et estives, offre un territoire de prédilection à l’alpage (1 500 à 2 000 m). Révélateur des modes de vie et des activités agricoles, l’habitat, véritable « maison-outils », traduit cette adaptation au milieu. Conçue avec une économie de moyens, la ferme regroupait hommes et bêtes sous un même toit, et les fonctions utiles à la vie de tous les jours.

Abondance de fermes doubles

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Au nord-est, la vallée d’Abondance abrite des bâtisses qui rappellent les fermes cossues et fleuries de la Suisse et du Tyrol. Dressées en pignon, ces fermes doubles coiffées d’un immense toit à deux pans peuvent s’étirer sur plus de 30 mètres. Symétriques, elles sont divisibles en deux habitations distinctes grâce à un mur de refend dressé dans l’axe de la poutre faîtière. Elles étaient donc construites pour loger deux familles différentes ou plusieurs membres d’une même famille tout en préservant leur intimité. Établie à mi-pente, la ferme repose sur un rez-de-chaussée semi enterré en maçonnerie. Frais et sombre, car sans ouverture, il abritait la cave à fromage où mûrissaient abondances et vacherins. Voué à l’habitation comme à l’élevage, l’étage est formé d’une ossature de poteaux de bois, habillée de planches de sapin. Passé l’entrée latérale (« cort’na »), aménagée dans le mur gouttereau (côté gouttière), un couloir dessert plusieurs pièces. Il mène d’abord à la cuisine (« outô »), où trône un fourneau en pierre ollaire importé de Suisse, puis à une pièce commune dotée d’un poêle et enfin à la chambre. Toutes s’ouvrent sur un balcon à balustrade (les « palines ») peinte de teintes vives et propice aux activités domestiques l’hiver.

Autour des chalets : « coffre-fort », bassin, four…

Autour de la maison, on trouve un ensemble d’annexes plus ou moins proches suivant l’usage. Le grenier, le rucher, le four à pain… Isolé au milieu d’un pré, le « mazot » est un petit grenier aménagé pour conserver les biens de la famille à l’abri des incendies inhérents à la présence du fenil. Bâti sur un soubassement maçonné ou quatre pierres d’angle qui l’isolent de l’humidité, ce « chalet miniature » est souvent formé de madriers (sapin, mélèze…). Sec, frais et sûr, on y remisait les papiers importants, les costumes de cérémonie, les bijoux, les semences, les grains, les eaux-de-vie, les viandes fumées et les salaisons… Indispensable aux hommes comme aux bêtes, le bassin assure tous les besoins ménagers et agricoles. Seule source d’eau, il sert à abreuver le bétail, cuisiner, se laver ou fabriquer le fromage. Construction en pierres coiffée d’ardoise, commune aux habitants du hameau, le four est allumé pour que chaque famille y cuise son pain pour plusieurs semaines.