L’imagination de nos prédécesseurs pour tenir debout au-dessus du sol était sans limite et a donné naissance à de nombreux planchers anciens. Les spécialistes du patrimoine s’arrachent les cheveux pour tenter de classer tout cela. Alors que cela repose sur quelques principes, un peu de bon sens et beaucoup d’expérience.
Les planchers d'autrefois
Aujourd’hui, nous avons la documentation technique. Pour construire un plancher, il suffit de suivre la recette. Autrefois, la transmission était orale, de l’artisan à son apprenti. Chaque génération apportait ses modifications, intégrait des évolutions. C’était tout l’enjeu du Tour de France des Compagnons. Mais ces derniers composaient l’aristocratie du bâtiment. La majorité des constructions restaient bâties par des artisans locaux, avec des habitudes locales et des ressources locales. Et si elles sont encore debout aujourd’hui, c’est que la technique était éprouvée. En conséquence, vouloir généraliser est une gageure sans grand espoir de réussite. Il existe toutefois une certaine continuité dans l’évolution des planchers au fil du temps avec la volonté d’en réduire l’épaisseur. Un plancher épais consomme de l’espace et met en œuvre des éléments massifs et chers. Plus il s’affine, plus c’est rentable. Parallèlement, différents matériaux et procédés sont expérimentés, mis en œuvre et validés. Les planchers majoritairement en bois relèvent de la charpente, ceux en briques de la maçonnerie.
Les planchers modernes en bois reviennent souvent aux origines, avec un simple solivage, sans retombée.
Question de poutre
Le plancher en bois le plus simple, et le plus courant dans l’habitat modeste, jusqu’au début du XXe siècle, est dit « à simple solivage ». Les solives sont posées parallèlement de mur à mur, doublées sur le dessus pour former l’aire destinée à recevoir le revêtement de sol, comme un carrelage de terre cuite ou un parquet. Le dessous est laissé en l’état ou éventuellement doublé d’un plafond, en plâtre sur lattis, par exemple. Pour réduire le nombre et la section des solives, ainsi que pour franchir une portée plus importante, le « plafond à la française » repose sur d’énormes poutres sur lesquelles sont réparties les solives. Ces poutres forment une retombée, c’est-à-dire qu’elles dépassent en-dessous. L’ensemble peut être habillé en caissons décorés. L'évolution suivante consiste à supprimer la retombée en faisant en sorte d’encastrer les solives dans les poutres, ou de les poser en appui sur des lambourdes (de plancher et non de parquet), de manière à disposer d’un plafond lisse.
Encore des problèmes économiques et voici le plancher à enchevêtrure, sans poutres. Seules les solives d’enchevêtrure portent sur les appuis. Des solives de remplissage sont disposées parallèlement entre elles et portent sur des linçoirs, des pièces en traverse, comme un chevêtre. Pour la liaison avec les murs porteurs, les pièces de bois peuvent être encastrées dedans (empochement), mais le plus souvent, elles reposent sur des appuis. Cela peut être des encorbellements, des appuis saillants en pierre ou maçonnés (les corbeaux), ou des lambourdes type muraillères. Les planchers modernes en bois reviennent souvent aux origines, avec un simple solivage, sans retombée. C’est en effet la solution la plus économique, la plus légère et la moins encombrante. D’autre part, il est désormais possible de franchir des portées bien plus importantes avec des résineux d’essence courante, parfaitement maîtrisées par le calcul. Enfin, les connecteurs métalliques en tous genres facilitent les raccordements divers.
Le voûtain peut être défini comme un arc surbaissé qui transfère la charge du plancher sur les poutrelles par effet de voûtes.
Voutain ou voussette
Les planchers maçonnés puisent leurs origines dans les voûtes des réalisations de prestige, des châteaux et des édifices religieux. La technique est maitrisée depuis l’Antiquité. La version qui nous intéresse est plus récente et se généralise au XXe siècle avec la diffusion de la poutrelle métallique en double T (ou en I), en fer puddlé ou en fonte. Toutefois, la technique existait auparavant, avec un solivage en bois. La construction de ce type de plancher commence, comme souvent, par la mise en place de solives ou de poutrelles parallèles, de porteur à porteur. L’écartement est choisi en fonction du matériau utilisé pour réaliser le voutain. Ce dernier peut être défini comme un arc surbaissé qui transfère la charge du plancher sur les poutrelles par effet de voûtes. L’ensemble ne tient que par le fait que chaque élément de structure est pris en sandwich entre deux arcs … ou chaque arc entre deux éléments. Le voutain lui-même est généralement fabriqué en briques, pleines ou creuses selon l’époque et le souhait de l’artisan. Elles peuvent être posées à plat ou sur chant, parallèlement aux poutrelles ou perpendiculairement. Là encore, cela dépend de l’écartement, du matériau et des pratiques locales. Il est même possible de sceller les voutains à l’avancement, au plâtre ou au mortier, sans coffrage. L'espace résiduel entre le voutain de brique et le sommet des éléments de structure est rempli d’un matériau neutre, destiné à égaliser la surface, l’aire, avant de recevoir le revêtement de sol, carrelage en terre cuite ou parquet sur lambourdes.
Ce type de plancher est très fréquent en habitat urbain et planchers bas sur cave. Il vieillit très bien à condition que le sous-sol soit bien ventilé. Sinon l’humidité permanente finit par venir à bout des poutrelles métalliques. L’autre inconvénient de ce type de plancher est une résistance aux charges d’exploitation aux alentours de 100 DaN/m2 et des surcharges ponctuelles peuvent facilement le déformer, ce qui peut conduire à sa ruine. Il existe une très grande variété de planchers à voutain et poutrelles métalliques. Les versions les plus récentes sont préfabriquées en béton armé et font office de prédalle. D’autre part, les mêmes poutrelles métalliques ont permis, au milieu du XIXe siècle et en même temps que les voutains, de mettre au point d’autres types de planchers, à auget plâtre, armé de fentons ou non, à hourdis pleins, etc.
Les 8 moments clés de mise en œuvre
Restauration de voutain
1 - Sécurité
Avant toute intervention sur le plancher, il faut le soutenir à l’aide d’un étaiement sur-mesure. Il doit être réglable, afin de pouvoir accompagner le retour du voutain à une forme normale.
2 - Déblaiement
Lorsque le plancher est parfaitement étayé, toute la partie supérieure est déblayée. Cela concerne le revêtement de sol et le remplissage. L’étaiement permet de marcher sur les voutains sans passer à travers.
3 - Garder la courbe
Rétablir la courbure de voûte d’origine s’effectue par en dessous. Auparavant, la maçonnerie est copieusement détrempée pour ramollir les joints. Puis les étais et leurs cintres sont relevés en position.
4 - Refaire joints et scellements
Les briques abîmées sont remplacées à l’identique. Contre un mur, le voutain est scellé dedans. Les cassures et les joints ouverts sont à nouveau remplis d’un coulis, de plâtre ou de mortier selon le cas.
5 - Créer des passages
La mise à nu des voûtains permet d’adapter le plancher, en créant des chevêtres ou des passages de conduit par démontage partiel, ou en installant des réseaux d’eau ou d’électricité, placés sous gaine.
6 - Couvrir d'une dalle
Une nouvelle vérification de l’étaiement est nécessaire avant de mettre en œuvre la dalle de compression. Elle peut reprendre les techniques traditionnelles ou être réalisée en béton, armé ou non, allégé ou non.
7 - Le voûtain neuf
Il est toujours possible de concevoir un plancher à voûtain neuf, en briques de terre cuite mince et poutrelles métalliques. Un gabarit mobile coincé sur les poutrelles par des pinces permet de guider le scellement des briques.
8 - Entrevous, le cousin du voûtain
La technique du plancher à poutrelles en béton et entrevous légers est l’héritière moderne du voûtain. Le coffrage à voûtain préfabriqué est une autre solution contemporaine permettant de couler une dalle en œuvre.
Conseil pratique et détail historique
Désastre annoncé
Intervenir sur un plancher ancien, même pour une modification anodine, pour faire passer un conduit par exemple, est extrêmement risqué. Car, au fil du temps et des fléchissements, il s’établit une sorte d’équilibre instable. Le plancher en son état actuel ne ressemble en rien à ce qu’il était à sa construction quelques décennies plus tôt. Tout cela tient aussi longtemps que possible, jusqu’à l’effondrement. Mais percer un trou, apporter un peu d’isolation, refaire l’aire supérieure, rectifier un léger affaissement, conduisent à modifier brutalement cet équilibre précaire, fendre une poutre, affaisser un voûtain, corroder un fer, etc. C’est la raison pour laquelle toute intervention sur ce type de plancher doit être effectuée par une entreprise spécialisée ou possédant un savoir-faire attesté dans ce domaine. Attention notamment à la vogue des sociétés d’isolation thermique à tout crin, aux chantiers aussi rapides que bâclés (isolation en sous-face collée, suspendue ou floquée).
Le plancher à quenouilles
Le plancher à quenouilles (ou fusées) consiste à fabriquer des boudins oblongs avec un torchis de terre et de foin, enroulé sur un bâton en bois à facettes planées, posés en travers des solives. L’aire supérieure est égalisée avec une couche de torchis, béton de chaux ou plâtre gros, puis carrelée. En plafond, les quenouilles sont lissées et éventuellement enduites au mortier de chaux ou de plâtre. Il faut au moins trois mois de séchage.
Comment construire en 1836
Extrait du Manuel des constructions rustiques, de M. de Fontenay.
Un plancher est un système de charpente qui sépare les différents étages d’un bâtiment ; il y en a de plusieurs espèces, ceux que l’on fait généralement, sont formés de pièces de bois appelées solives qui sont posées parallèlement, ayant leurs points d’appui ou sur le sol ou sur les murs ; elles sont plus ou moins espacées et de grosseur proportionnée à la charge que les planchers doivent supporter.
Si elles doivent être garnies d’un plafond inférieur, on les espace autant que possible, ... Il faut autant que possible éviter de prendre les points d’appui au-dessus des baies des portes ou des croisées.
D’après M. Rondel, les solives d’un plancher doivent avoir pour hauteur 1/24e de la portée lorsqu’elles sont espacées tant plein que vide, et l’épaisseur encore moindre ; il faut qu’elles soient posées de champ. Le plancher [de M.Cointereau] entre le rez-dechaussée et le premier étage est formé avec des planches de sapin posées de champ, légèrement cintrées en dessous et doublées sur les joints. Ces espèces de courbes, qui tiennent lieu de solive, sont espacées d’environ 15 pouces [environ 40 cm] ; elles sont entretenues par de gros échalas qui les traversent ; le dessous est couvert d’un enduit de plâtre, les intervalles sont remplis de gravats et de décombres, arrangés avec de la terre ; le dessus est carrelé en grands carreaux de terre cuite.
Pour faire un plancher de plâtre, faites fondre dans une chaudière cinq livres de colle forte d’Angleterre ou de Flandre avec deux morceaux de chaux vive, et une demi-livre de gomme arabique. Ces drogues étant fondues ensemble, il faut les mettre dans un tonneau d’eau, et de cette eau gâcher le plâtre passé au tamis pour faire l’enduit du plancher d’un pouce d’épaisseur [près de 3 cm] : le plâtre ainsi trempé doit être plus épais qu’à l’ordinaire.